Petite réflexion inspirée à la fois par les dessins de Jean-Christophe Mazurie, qui a eu l’immense gentillesse de m’en proposer certains pour illustrer cet article et dont vous pouvez voir l’excellent travail sur son blog, mais aussi par les bipèdes transpirants qui passent régulièrement devant ma porte.
En les voyant arriver de loin, se rapprocher inexorablement au rythme de leur foulée légère, dépasser mon pas-de-porte puis disparaître de la même façon, une question s’impose à moi. Ou plutôt deux. La première, après quoi courent-ils ? Et la deuxième, pourquoi courent-ils ? Je doute que ce petit exposé parvienne à y répondre mais, faire leur portrait m’a semblé amusant …
Les profils sont variés. Cela va du drogué de la course à pied qui ne conçoit pas une journée sans sa dose de dopamine via quelques kilomètres dans les baskets, aux copines qui, voyant arriver les beaux jours, se disent qu’il faut vraiment faire quelque chose pour cette vilaine cellulite avant l’impitoyable test dit du « bikini-trop-petit » ! (savent-elles d’ailleurs que courir n’y changera rien ?). En général, on distingue assez facilement les deuxièmes du premier …
Entre les deux, il y a tout une palette bigarrée d’individus aussi ordinaires qu’atypiques. Des coureurs tout simplement et des coureurs pas simples du tout. Ces derniers, tout droit sortis d’un magazine de running, vêtements arborant les logos des marques « must have« , couleurs tendances, courent autant pour montrer qu’ils courent que pour le simple plaisir du sport, voire plus. Si la tenue vestimentaire est bien sûr déterminante (elle l’est à chaque moment de la vie, celui-ci n’y échappe évidemment pas !), la couleur des baskets, le choix des lunettes, celui de la montre, qui elle, s’apparente plus à un ordinateur de bord débordant de fonctions toutes plus indispensables les unes que les autres, (que même James Bond, il en a pas une aussi perfectionnée), l’option avec ou sans musique, i-pod visé sur le biceps et écouteurs savamment glissés dans les oreilles (ou pas !), sont également des critères à prendre en compte.
Certains sont là pour leur bien-être, d’autres pour être vus donc, d’autres pour entretenir leur corps comme on prend soin d’une machine puissante mais fragile, d’autres encore pour s’entraîner en vue d’une prochaine course, d’un semi-marathon, d’un trail ou de je ne sais quoi encore de pénible, douloureux et qui fait transpirer ! Des efforts improbables, parfois de nuit, sur des terrains accidentés, boueux ou dans les bois (très certainement peuplés de sangliers et de loups affamés), perdus au fin fond d’un bled tellement paumé qu’il faut se lever à 6 heures du mat’ le dimanche et faire deux heures et demi de bagnole pour s’y rendre ! Je me suis renseignée (Google est ton ami), il y en a tous les week-ends des trucs de fous comme ça ! Et en plus, souvent, il faut payer pour participer !
D’autres encore traînent des pieds, mais ils se font violence car « c’est bon pour mon corps » et puis, quand leurs collègues leurs demanderont demain matin autour de la machine à café « Et toi, t’as regardé quoi hier soir ?« , ils pourront répondre d’un air faussement détaché « Moi ? Oh, rien, j’suis allé courir sur les quais. C’était le temps idéal ! Et puis rien ne vaut un petit jogging après le boulot … » ! Mais oui, bon sang mais c’est bien sûr, un bon p’tit jogging après le boulot pour se vider la tête … et mater plein de jolies joggeuses ventre plat, brassière flashy pour contenir leur poitrine parfaite et les fesses moulées dans leur petit short en Lycra ! C’est sûr que ça motive … pour faire un p’tit jogging après le boulot !
Non, en vérité il ne dira pas « jogging« , car, je ne sais pas si comme moi vous avez remarqué, mais j’ai l’impression que le mot jogging est devenu désuet, pour ne pas dire limite ringard. Le jogging c’était le truc des années 80-90, quand Bernard Tapie marchait à la Wonder et arborait fièrement ses muscles pectoraux dans Gym Tonic, mais maintenant on ne fait plus de jogging, non, maintenant on fait de la course à pied, du running, à la limite du footing mais certainement pas du jogging ! Rien qu’en écrivant ce mot, je revois parfaitement les survêtements fluos hideux en vogue quand j’étais encore au collège … !!!
Pour en revenir à notre spécimen fan de course après le boulot (pour se vider la tête !), il faut bien reconnaître que les quais en bord de Garonne sont un parfait substitut pour citadins en manquent de chemins campagnards. C’est également un incomparable poste d’observation pour compiler toutes les espèces de ces animaux courants. Je pense que je devrais m’y installer pour prendre des notes et élargir l’éventail des portraits mais il y en a une telle quantité que je préfère, pour l’instant, me consacrer à ceux de la campagne. Car oui, il en va des coureurs, comme des rats : il y a ceux des champs et des villes.
Parmi ceux des champs donc, il y a Rocky.
Oui, je l’ai surnommé Rocky car je lui trouve un petit côté Rocky Balboa (Training Scene, mais sans le chien !), d’ailleurs je ne serai pas surprise d’entendre The Eye of the Tiger dans ses écouteurs (oui, il fait partie de la catégorie des coureurs avec musique). Rien ne semble pouvoir le détourner de son effort quotidien, ni la météo capricieuse, ni la rudesse de l’hiver, ni la nuit à 18h ne l’arrêtent, il court. Son parcours est bien établi, plusieurs kilomètres je suppose pour l’avoir croisé à des endroits bien éloignés de chez moi, il n’en dévie pas, il court. Vêtu d’un jogging Adidas noir à bandes dorées d’une autre époque (mais visiblement le vintage fait fureur …), lunettes de soleil aviateur à verres miroir sur le nez, pas très grand, râblé, son physique tient plus du boxer catégorie poids moyen que du marathonien éthiopien. Etrangement, sa foulée est à la fois lourde et légère et ses pieds semblent avaler le bitume comme j’avale les fraises Tagada. Malgré son évidente absorption à l’effort, il ne manque jamais de me gratifier d’un bonsoir tout en poursuivant sa course, imperturbable. Effort d’ailleurs, qui vu d’ici, semble tout à fait relatif, mais que, personnellement, je serai bien incapable de … Ah ! Je m’interromps, et pour cause, alors que j’écris toutes fenêtres ouvertes, je viens d’entendre puis de voir passer un spécimen féminin (le son caractéristique des foulées enchaînées précède toujours la vue de l’animal), crinière bouclée retenue par un élastique et gros casque bleu sur les oreilles, son déplacement rapide m’a empêché d’en voir plus ! Revenons à Rocky, je disais donc, effort que je serai bien incapable de soutenir, ne serait-ce que jusqu’au bout de la rue … !
D’autres passent par deux ou trois, souvent entre hommes, parfois en couple, et, phénomène surréaliste à mes yeux, ils discutent ! Moi qui, les rares fois où je me suis essayé à cet exercice (oui, comme tout le monde, j’ai bien tenté une ou deux fois de me motiver à chausser une paire de baskets pour faire du bien à mon corps avant que mes bonnes intentions ne se dissipent à la première averse !), ces fois-là donc, je me souviens avoir eu toutes les peines du monde à respirer. Ce n’était pas tant les jambes qui souffraient, non de ce côté-là ça allait plutôt bien, que la difficulté à trouver l’oxygène nécessaire à alimenter le travail soudain de ces muscles peu habitués à devoir fournir un effort répété. J’avais l’impression que les battements de mon cœur ne suffisaient pas à envoyer assez de sang et que toute la machine habituellement efficace subissait un dérèglement inopportun. Pour la bonne marche de la machine, il était donc plus prudent de s’en tenir là ! Pourtant, j’aurai adoré pouvoir soutenir une conversation avec une copine mais pour cela il eut d’abord fallu que je réussisse à respirer normalement, or cela m’a toujours paru être mission impossible ! Du coup, j’ai trouvé la parade : un bon repas, un thé de fin d’après-midi, un café, ou un apéro improvisé ! Vous m’avouerez quand même qu’il est bien plus agréable et bien plus pratique d’avoir une conversation autour d’une blanquette de veau maison ou d’une tasse de café plutôt qu’en s’échinant à courir pour revenir inéluctablement au point de départ !
De plus, si on pense à ce qu’encaissent les genoux, les ménisques et le cartilage, obligés d’amortir les chocs sur le bitume en supportant ainsi trois à cinq fois le poids du corps (si, si, si j’ai lu des trucs là-dessus !), aux pieds amortissant eux aussi cette onde choc qui traverse tous les membres inférieurs jusqu’à la colonne vertébrale, aux joues écarlates qui nous font plus ressembler à Bozzo le clown qu’à Pamela Anderson courant sur une plage californienne et dont seul le maillot est rouge (en même temps, qui voudrait ressembler à Pamela Anderson ???), au front dégoulinant de sueur (imaginez que le Prince Charmant Courant, ou son équivalent féminin, passe alors par là …), aux écouteurs qui ne tiennent jamais dans les oreilles, aux étirements d’après course qui vous donnent l’impression d’avoir été moulé dans un bloc de béton, sans parler, pour les moins chanceuses dont les seins dépassent le bonnet C, le ballottement pectoral, qui malgré un maintien forcé, finit par opérer de micro-déchirures sur le si fin et si fragile tissu et accélérant de ce fait la chute prématurée de toute poitrine non siliconée … Si on pense à tout cela donc, il semble préférable de s’abstenir, de prendre un bouquin et de s’installer confortablement dans un fauteuil club près d’une cheminée ou, selon la saison, dans un transat à l’ombre d’un magnolia.
A tous ceux, qui, malgré tout, voudraient s’entêter à courir, je souhaite bon courage et je les remercie de me donner, encore, l’occasion d’écrire sur un si vaste sujet !